Association Jean Carmignac



L'association tient son nom de l'abbé Jean Carmignac, cet éminent savant hébraïsant dont les travaux scientifiques aboutissent à démontrer, d'une façon qui semble décisive, que les Évangiles, écrits très tôt et en langue sémitique, ont une valeur historique de premier ordre et sont les témoignages de disciples qui ont suivi Jésus ou de ceux qui les ont interrogés. Elle a pour but de faire connaître l'œuvre spirituelle et scientifique de ce prêtre et celle de tous les chercheurs qui, comme lui, contribuent à défendre l'historicité des Evangiles en s'attachant à la seule valeur d'arguments incontestables, appuyés sur des sciences telles que : l'histoire, la philologie, l'archéologie, la papyrologie...



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Auteur :

Jacqueline C. Olivier

Hérode, les Mages et le Massacre des Innocents

Qu’au talentueux Brunor [1], un jeune dise en substance « D’accord Jésus a existé, mais comme son histoire n’est relatée que par des “comparses”, quel crédit peut-on accorder aux Evangiles ? », passe encore : il est jeune et baigne hélas dans notre sous culture médiatique. Et puis ce désir d’être sûr que les choses soient vraies peut être un bon début de réflexion si ce jeune trouve sur sa route un « transmetteur ».

Mais que sur une radio chrétienne, un dit spécialiste, chrétien, dise à peu près la même chose « Le massacre [des Innocents] est assez peu probable… Il n’en est mention nulle part… ». Nulle part ?? Cela voudrait-il dire que sa mention dans l’Evangile de Matthieu (Matt. 2, 1-12) compte pour rien ? !

Et voilà qu’on retrouve le même préjugé sous la plume d’un auteur de National Geographic [2] parlant d’Hérode : « De nos jours, [Hérode] est surtout connu comme le monarque sournois et sanguinaire dont parle l’Evangile de Matthieu, qui fit tuer tous les bébés mâles de Bethléem, pour tenter – en vain – d’éliminer l’enfant Jésus nouveau-né, annoncé par les prophètes comme le Roi des Juifs. […] Hérode est presque certainement innocent de ce crime, dont il n’existe nul autre récit que celui de Matthieu. »

Il est vraiment plus qu’agaçant, alors que des travaux scientifiques sont à la disposition de tous, d’entendre ou de lire, chez des auteurs crédités d’un certain sérieux, qu’un fait qui n’est relaté que dans l’Evangile, a de grandes chances d’être légendaire ou mythique. Et des langues de buis croient rattraper l’affaire en disant « mais ne vous inquiétez pas, ces faits ne se sont pas réellement passés, mais les mythes ou les légendes ont une fonction bien réelle… » Et chacun d’y aller de son interprétation.

Reprenons cet exemple du Massacre des Innocents. Serait-il à ranger dans les récits légendaires, parce que n’étant mentionné que par l’évangéliste Matthieu ? Ce jugement est ce qu’on appelle un pré-jugement, un préjugé... De plus il semble ressortir d’une très solide étude que ce fait est mentionné dans un texte du 1er siècle (ci-dessous en italiques). Ce qui ferait deux sources… Cela suffirait-t-il ??

« Voici ce récit assez complexe relatant un voyage de sages persans à Jérusalem ; ce texte a une lacune au début : il manque une première rencontre chez Hérode, qui apparemment échoue, car il devient soupçonneux » :

<<…Ayant ainsi parlé, (Hérode) les renvoya [ndr  : il s’agit des « sages persans [3] »] aux aubergistes ; il les fit escorter de gardes pour les surveiller, et préposa d’autres gardes sachant le persan pour écouter ce qu’ils disaient. Quand ils furent seuls avec un Perse qui se trouvait là, ils commencèrent à se lamenter, disant : « Nos pères et nos ancêtres ont été d’excellents astrologues et n’ont jamais menti en observant les étoiles. Qu’est-ce que cela peut être ? Tromperie ou erreur ? L’image de l’étoile [4] nous est apparue pour signifier la naissance d’un roi par lequel le monde entier serait maintenu. Et regardant cette étoile nous avons fait route pendant un an et demi vers cette ville, et nous n’avons pas trouvé de fils de roi. Et (maintenant) l’étoile nous est cachée. Nous avons vraiment été trompés. Mais nous allons envoyer au roi les présents que nous avons préparés pour l’enfant et lui demander de nous laisser (retourner) dans notre patrie. »

Et comme ils avaient parlé ainsi, les gardes vinrent tout raconter au roi. Et il envoya chercher les Perses. Et pendant qu’ils étaient en route, l’étoile remarquable leur apparut (de nouveau). Et ils furent remplis de joie. Et ils allèrent de nuit chez Hérode, très encouragés. Et il leur dit sans autres témoins : « Pourquoi avez-vous attristé mon cœur et affligé mon âme en ne disant pas la vérité ? Pourquoi êtes-vous venus ici ? » Ils lui dirent : « Ô roi, nous n’avons pas de double langage, mais nous venons de Perse. Nos ancêtres ont recueilli des Chaldéens l’astronomie qui est notre science et notre art. Nous ne nous sommes jamais trompés en observant les étoiles. Une étoile ineffable nous est apparue, distincte de toutes les (autres étoiles). Ce n’était pas l’une des sept planètes, ni l’un des lanciers, ni l’un des écuyers, ni l’un des archers, ni l’une des comètes, mais elle était excessivement brillante, comme le soleil et elle était joyeuse. Et c’est en l’observant que nous sommes arrivés à toi. Mais lorsque nous fûmes arrivés l’étoile disparut jusqu’à maintenant : alors que nous venions vers toi, elle a réapparu. » Et Hérode dit : « Pouvez-vous me la montrer ? » Et ils dirent : « Nous comptons bien que le monde entier la voie. » Ils avancèrent vers une lucarne et lui montrèrent l’étoile. Et quand Hérode la vit, il fut très émerveillé. Et il rendit gloire à Dieu, car c’était un homme pieux. Et il leur donna une escorte (incluant) son frère et des notables pour aller voir celui qui était né.

Mais comme ils étaient en route, l’étoile disparut une fois de plus et ils revinrent de nouveau. Et les Perses lui demandèrent de les laisser aller seuls, (promettant) qu’ayant trouvé l’enfant, ils reviendraient le lui dire. Ils lui firent un serment, convaincus que l’étoile les ferait revenir par le même chemin. Et ils suivirent l’étoile.

Et il les attendit un an, mais ils ne vinrent pas à lui. Et il était furieux, et il convoqua les prêtres (qui étaient) ses conseillers, et il leur demanda si l’un d’eux comprenait (la signification de) cette étoile. Et ils lui répondirent : « Il est écrit : “Une étoile brillera de Jacob et un homme se lèvera de Juda.” Et Daniel écrit qu’un prêtre doit venir, mais nous ne savons pas qui il est. Nous comprenons qu’il naîtra sans père. » Hérode dit : « Comment pouvons-nous le découvrir ? » Et Lévi dit : « Envoie enquêter dans tout le pays de Judée (pour savoir) combien d’enfants mâles sont nés depuis que les Perses ont vu l’étoile jusqu’aujourd’hui. Tue-les tous et celui-là sera aussi tué. Et ton royaume sera en sécurité pour toi et pour tes enfants et même pour tes arrières petits-enfants. » Et aussitôt il envoya des hérauts dans tout le pays (proclamer) que tous les enfants mâles de moins de trois ans devaient être honorés et recevoir de l’or. Quand ils s’informaient si l’un d’eux était né sans père, ils devaient affirmer que (Hérode) l’adopterait comme fils et le ferait roi. Et comme ils n’en découvrirent aucun, il donna l’ordre de tuer tous les soixante trois mille enfants.

Alors que tous pleuraient et se lamentaient sur l’effusion de sang, les prêtres vinrent et lui demandèrent d’épargner les innocents, mais il les menaçait d’autant plus, imposant le silence. Et ils tombèrent prosternés et ils restèrent prostrés à ses pieds jusqu’à la sixième heure. Mais la fureur du roi prévalut. Plus tard ils se levèrent et lui dirent : « Ecoute tes serviteurs, pour que le Très-Haut te soit favorable. » Il est écrit que le Messie (Oint) naîtra à Bethléem. Même si tu es sans pitié pour tes serviteurs, tue les enfants de Bethléem et laisse les autres partir. » Et il donna l’ordre et ils tuèrent tous les enfants de Bethléem. >> [5]

D’où provient cet extrait ?

D’un manuscrit incomplet, en vieux russe, (l’usage parle du manuscrit « slavon »), redécouvert en occident en 1905 et qui serait la traduction d’un livre - longtemps considéré comme perdu - de Flavius Josèphe. Cet historien juif, né à Jérusalem en 37, mort à Rome en 96 environ, dit lui-même dans son livre bien connu La Guerre des Juifs, avoir composé « dans la langue de ses pères » [hébreu ou araméen] une version antérieure de son récit, première version intitulée La Prise de Jérusalem. Le manuscrit slavon dériverait, d’une manière ou d’une autre, de cet original sémitique de Josèphe (après un détour par le grec). Il est globalement plus court que La Guerre des Juifs mais possède aussi des passages originaux qui ne figurent pas dans ce livre, et qui sont du plus haut intérêt, en particulier parce qu’ils sont une source extérieure, sur plusieurs points de ceux-ci, aux textes des Evangiles. Extérieure, mais les recoupant, comme ce récit du massacre des enfants de Bethléem.

Question : ce texte slavon est-il issu d’un écrit authentiquement de Flavius Josèphe ?

L’intensité des débats autour de cette question, qui ne se dément pas depuis plus d’un siècle, provient en grande partie de ce qu’on a dans le slavon un florilège d’éléments qu’on retrouve dans le Nouveau Testament. En gros, il y a trois types de conclusions possibles : a) l’écrit ne provient pas de Flavius Josèphe et la version primitive qu’il dit avoir faite est toujours perdue pour nous ; b) l’écrit est authentiquement issu de Fl. Josèphe, mis à part les éléments qui confortent les récits évangéliques, ces éléments étant en entier, ou partiellement, le résultats d’ajouts (des « interpolations ») que des mains chrétiennes ont fait entrer dans le texte ; c) l’écrit est de Flavius Josèphe, y compris les passages qui donnent des informations qu’on peut retrouver (quoique sous une forme très différente) dans le Nouveau Testament.

Il n’est pas possible, ici, de rendre compte de tous les travaux qui ont jalonné ce siècle de réflexion sur cette question. Nous essaierons de donner dans un prochain bulletin – avec quelques autres extraits du slavon - des éléments sur l’état de la question en 2009, en nous appuyant sur un des plus grands spécialistes de Flavius Josèphe, le dominicain Etienne Nodet (*), qui depuis plus de 20 ans élabore une œuvre majeure sur les écrits de cet auteur  [6]
. Et qui conclut non seulement à l’authenticité de la version slavone – il s’agit bien du récit de Josèphe -, mais considère les notices se rapportant à Jésus, Jean-Baptiste, Jacques, etc., comme strictement authentiques, sans remaniement chrétien ultérieur.

[1Interview de Brunor (Bruno Rabourdin) en p. 24 du n°3138 de l’hebdomadaire France Catholique (31 octobre 2008), à propos de son excellente bande dessinée La Question interdite, parue aux éditions Viltis en décembre 2008, et dont nous voudrions reparler dans un prochain bulletin.

[2National Geographic de décembre 2008, King Herode Revealed, article de Tom Mueller. « …today he is best known as the sly and murderous monarch of Matthew’s Gospel, who slaughtered every male infant in Bethlehem in an unsuccessful attempt to kill the newborn Jesus, the prophesied King of the Jews. […] Herod is almost certainly innocent of this crime, of which there is no report apart from Matthew’s account. »

[3Les « mages », du mot persan qui désigne les prêtres. Ajoutons deux petites traces, qui pourraient bien refléter le fait historique de l’origine de ces persans :
 Une célèbre peinture des Catacombes de Rome, datée du IIème siècle, montre les Mages de l’Evangile représentés avec le costume et le bonnet persans.
 Et quand en 614 le roi de Perse Chosroès II s’empara de Jérusalem, il fit détruire toutes les églises sauf une, la Basilique de Bethléem, qui commémorait la nativité de Jésus, au motif qu’il y avait, au frontispice, une mosaïque représentant les Mages, vêtus des mêmes habits persans qu’eux…

Autre écho possible du massacre des enfants de Bethléem dans ces reproches faits à Jésus < Les anciens des juifs répliquèrent à Jésus : « Et que verrons-nous ? D’abord que tu es né de relations coupables. Puis, que ta naissance à Bethléem a provoqué un massacre d’enfants. Enfin que ton père Joseph et Marie ont dû fuir en Egypte, tant ils étaient gênés devant le peuple. » > (in Actes de Pilate II, 3, apocryphe du IVème siècle).

[4Ndr : Le scepticisme envers cette étoile n’est recevable que venant d’une personne qui saurait réfuter un à un les 50 à 70 000 témoignages venant de la foule de gens divers, qui, le 13 octobre 1917 à midi heure solaire, étaient rassemblés là, suite à la promesse - faite 4 mois auparavant par la Vierge Marie aux trois petits voyants de Fatima - de faire « un grand miracle afin que tous croient ». Et la foule a vu pendant 10 minutes le soleil “danser” dans le ciel.

[5Etienne Nodet : Histoire de Jésus ? Nécessité et limites d’une enquête, éd. du Cerf, Paris, 2003, p. 219.

[6C’est dans un livre intitulé Flavius Josèphe, l’Homme et l’Historien, éd. du Cerf, Paris 2000, qu’Etienne Nodet expose de la façon la plus fouillée, en 302 notes et 118 pages, les faits et arguments qui lui permettent de conclure à « l’authenticité » de cette version slavone. Mais l’ouvrage commence par présenter une traduction en français des 6 précieuses conférences qu’Henri St. John Thackeray donna en 1928, sous ce même titre, au Jewish Institute of Religion à New York, c’est pourquoi il est mis sous le nom de cet auteur. En préliminaire H. Thackeray dit : « Je suis conscient de ma témérité en cherchant à vous parler de votre historien national. Mais Josèphe a toujours trouvé un accueil parmi les chrétiens plus favorable que chez ses coreligionnaires. Il fut honni par des Juifs comme renégat et opportuniste, et loué par des chrétiens à cause d’un passage […] où il parle de Jésus. » Et il ajoute plus loin : « Dans mon pays [l’Angleterre], il fut un temps où dans presque chaque demeure on pouvait trouver deux livres, la Bible et les œuvres de Josèphe ».

(*) Ndr : S’appuyer sur ce travail d’un exégète célèbre, abondamment publié aux éd. du Cerf, ne suppose pas que nous soyons en accord avec ses conclusions sur tous les autres sujets qu’a travaillés cet érudit.



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