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La position des linges selon Jean 20, 6-7 et le Linceul de Turin


novembre 2013
Auteur :

Jean Carmignc - Bulletin N° 5 - 6 - 7

Le but de cet article n’est pas de traiter l’ensemble des rapports entre le linceul de Turin et les Évangiles, ni même d’étudier à fond Jean 20, 6-7, seulement d’essayer d’éclairer le sens d’un passage difficile :

{{}}xwri\v e0ntetuligme/non ei0v e3na to&pon.

 

Pour cela on essaiera en permanence d’imaginer ce qu’a pu être le substrat hébreu de chaque terme. Cette argumentation n’exige pas nécessairement qu’on admette pour l’Évangile de Jean un original sémitique (hébreu ou araméen), mais seulement qu’on reconnaisse que cet Évangile a été rédigé par un auteur dont la pensée était encore coulée dans les moules sémitiques, qui continuait donc à raisonner avec des concepts hébreux ou araméens, même s’il écrivait en grec. Et cette imprégnation sémitique ne peut être niée par personne, même pas par ceux qui se refusent à envisager l’hypothèse d’une véritable rédaction sémitique, suivie d’une traduction grecque. Nous ne voulons pas entrer ici dans cette discussion.

Si le Linceul de Turin est vraiment celui dans lequel Jésus a été enseveli, les renseignements qu’il nous fournit doivent s’accorder avec les faits relatés dans les Évangiles.

Dans cette confrontation, un texte semble faire difficulté, Jean 20,6-7 : Pierre est entré dans le tombeau et il voit les linges affaissés et la mentonnière qui était sur sa tête (= de Jésus) non pas affaissée avec les linges, mais xwri\v enveloppée, ei0v e3na to&pon.

De nombreux travaux ont déjà précisé le sens de plusieurs termes.

Voyons : Oqo&nia = linges

 

’Oqo&nia est ainsi défini par A. Jacob dans le Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines : matière textile végétale, qui paraît être le lin filé très fin, et le tissu qui en est fait ; par la suite, ce terme s’appliquera à tous les tissus fins et légers, qu’ils fussent ou non de lin (p.263). Comme le Linceul de Turin est effectivement un tissu de lin, pas de difficulté sur ce point. La finale de o)qo&nia est celle des diminutifs et donc elle s’appliquerait logiquement à un tissu de petites dimensions ; mais dans le grec populaire et dans la langue du Nouveau Testament les diminutifs ont souvent perdu leur valeur propre [1]. Rien donc n’empêche de voir dans ces o)qo&nia le Linceul de Turin. Ce même mot o)qo&nia est déjà employé par Luc 24,12, dans la description de la même scène, et alors il renvoie manifestement à Luc 23,53, où se trouve sindw&n = linceul (de même en Marc 15,46 et en Matthieu 27,59). Ainsi o)qo&nia est un terme plus vague qui s’applique à la fois au linceul et à d’autres objets appartenant tous à la catégorie des « étoffes » ou des « linges ». C’est ainsi que comprennent J. Renié, p.313, P. Vignon, p.64, F.M. Braun (1939-1940), pp.17-20, F.M. Willam, p.211, A. Vaccari (Biblica) p.264 + (Ubach) pp.375-386, C. Lavergne (1961) pp.8-13+16-18 et (1978) pp.227-232, M. Balagué, pp.173-175, L. Fossati, pp.502-504, I. Wilson, p.84, A. Feuillet (1977) pp.259-261 + (1978) pp.240-245, G. Ghiberti (1979), pp.138-140+140-145, A. Legrand, pp.181-182, R. Robert, pp.41-42.

Par contre plusieurs auteurs voient dans ces o)qo&nia des « bandelettes », ainsi F.M. Braun (1937), pp.17-20, J. Blinzler (1955), pp.158-166, E. Delebecque, pp.243-244, C. Spicq, II, pp.601-605.

Le grec sindw&n correspond en hébreu à NydIsf (employé en Juges 14,12-13 ; Isaïe 3,23 ; Prov. 31,24 et 16 fois dans la Mishnah) et en araméen à )inFydIs ; (qui se retrouve en syriaque). Le grec o)qo&nia pourrait correspondre en hébreu à Myt@i#$ ;p%i, si l’on voulait préciser que ces linges étaient faits en lin, ou à syrpa, si l’on envisageait n’importe quel textile ; ce dernier terme est nettement préférable à cause de son usage plus fréquent (et peut-être aussi à cause du jeu de mots qu’il va provoquer). De fait, c’est bien syrp que l’on trouve dans la traduction hébraïque de Theodosius Fabricius (en 1595) ; W. Greenfield et un manuscrit de Cambridge ont MydIsf (au singulier ou au pluriel) ; d’autres traducteurs recourent aux termes rabbiniques wyt)i, qytx et surtout wybyrt. Les anciennes versions syriaques et la Peshitta rendent o)qo&nia par yInitfk@ ; (« des linges ») ; on peut donc supposer ) inFtfk@i, au pluriel ) fynIt@fk@i.

Le terme KEIMENA

 

Il semble bien signifier ici « gisant », « posé », c’est-à-dire « étalé » ou « affaissé », comme le pensent, entre autres, A. Feuillet (1977), p.262 + (1978), p.248 et F. Gnidovec, pp.140-141. Certains comprennent parfois « tombé à terre », mais c’est une interprétation plus qu’une traduction, puisque la terre n’est pas mentionnée ; par contre on pourrait admettre en français « retombé », au sens d’une étoffe qui « retombe » quand elle n’est plus soutenue. Parmi les équivalents hébreux possibles (syhnwm, sylqwm, sy#o|rq) le plus naturel est le verbe sy#o| qui donne au pluriel du participe passif sym|y#oi. C’est une forme semblable qui est aussi la plus probable en araméen Nymiy#oi ou Nymiys (en accord avec les vieilles versions syriaques et avec la Peshitta).

SOUDARION = mentonnière

 

En fait, un mouchoir ou une serviette, qui pouvaient être soit étalés sur la figure soit enroulés sur eux-mêmes et serrés autour du visage, pour maintenir la bouche fermée. Le Linceul de Turin exclut la première interprétation et postule la seconde. La précision « sur la tête » ne conviendrait pas dans la station debout, mais pour un mort couché sur le dos elle est tout à fait compréhensible. En Jean 11, 44, lors de la résurrection de Lazare, celui-ci est déjà en position verticale et alors le rédacteur s’exprime autrement : « sa face était liée tout autour par une mentonnière (soudari/w|) ». Quelques auteurs comprennent qu’il s’agirait d’un voile posé sur le visage de Jésus : F.M. Braun (1939-1940), pp.30-46, A. Vaccari (1953), p.264, R.E. Brown, p.979. Mais la plupart des auteurs s’accordent sur le sens de « mentonnière » : P. Vignon, pp.65-68, E.A. Wuenschel, pp.170-177, C. Lavergne (1961), pp.13-16, J.A.T. Robinson, pp.27-29, A. Feuillet (1978), p.240, G. Ghiberti (1979), pp.145-148, A. Legrand, p.181, H.M. Féret, pp.86-90. L’usage du sudarium ayant été propagé par les Romains, les Grecs ont décalqué le nom en souda&rion, en même temps qu’ils utilisaient l’objet. Pour la même raison, le même emprunt a pu se réaliser aussi dans les langues de Palestine, comme en témoigne la Mishnah pour l’hébreu, le dictionnaire de Jastrow pour l’araméen, puis les versions syriaques.

META = « avec »

 

Certains auteurs se demandent s’il ne faudrait pas ici donner à meta une valeur de comparaison et comprendre que la mentonnière n’était pas affaissée « comme » les linges. Mais c’est voir des difficultés là où il n’y en a pas : on dit couramment « j’ai posé mon mouchoir avec mes clefs » et ce sens d’accompagnement est tout à fait normal ici : la mentonnière n’accompagnait pas les linges dans leur affaissement.

ENTETULIGMENON.

 

Ce participe parfait passif du verbe e0ntuli/ssw « envelopper dans », qui est précisément choisi par Matthieu 27, 59 et par Luc 23, 53 pour décrire l’ensevelissement de Jésus, en accord avec Marc 15,46 qui préfère le synonyme e0neilei=n. Pour le sens on hésite entre « plier » (divers traducteurs), « enrouler » (F.M. William, p.211 ; L. Fossati, p.504) et « envelopper » (C. Lavergne, pp.26-27) ; A. Feuillet (1977), pp.262-264, associe les deux dernières significations et traduit « enveloppé et enroulé ». En fait l’helléniste R. Robert conclut ainsi son enquête : « Dans tous les textes recensés la traduction s’accommode bien de « envelopper » et dans certains cas la réclame... L’étymologie oriente vers le choix de « enrouler », bien que certains textes recensés s’en accommodent mal, tel celui des Synoptiques » (p.44). Admettons donc « envelopper », et nous verrons que cette signification ne s’oppose pas au contexte.
En hébreu biblique, on pourrait envisager, avec des nuances différentes +wl, h+w( (plutôt « voilé »), hswk (plutôt « recouvert »), mais l’hébreu mishnique connaît le verbe Krk dont le sens convient tout à fait, donc K ;w%rk@, K ;rkn ou K ;rw%km et en araméen Kyrk.
Ici commence la véritable difficulté de ce passage. Elle provient des deux expressions xwri/vet ei0v e3na to&pon.


Bibliographie pour le texte ci-dessus (Nous citons les auteurs dans l’ordre alphabétique) :
André Feuillet : La découverte du tombeau vide en Jean 20, 3-10 et la Foi au Christ ressuscité, dans Esprit et Vie, 87ème année, n° 18 (5mai 1977), pp. 257-266 + n° 19 (12 mai 1977), pp. 273-284.
Luigi Fossati : Che cosa vide Giovanni entrando nel sepolcro e perchè credette ?, dans Renovatio, vol. IX, n° 4, ottobre-dicembre 1974, pp.500-507.
P. Ceslas Lavergne . La preuve de la Résurrection de Jésus d’après Jean 20, 7. Le sudarium et la position des linges après la résurrection. Le corps glorieux et la preuve que Jésus est ressuscité (brochure éditée par le Centro Internazionale di Sindonologia, qui reprend des articles des cahiers « Sindon », Anno III 1961, nos 5 et 6).
René Robert : Controverses sur les linges du tombeau vide (Jean 20, 3-10), dans le Bulletin de l’Association Guillaume Budé, mars 1984, pp. 40-50.
Franz Michel William : Johannes am Grabe des Auferstandenen (Jo 20, 2-10), dans la Zeitschrift für Katholische Theologie, 71. Band, 2 Heft, 1949, pp. 204-213.
Bibliographie pour le texte paru dans le n° 5 outre les ouvrages déjà cités ci-dessus :
Michel Balagué : La prueba de la Resurrección (Jn 20, 6-7), dans Estudios Bíblicos, volumen XXV, cuaderno 2°, Abril-Junio 1966, pp. 171-192.
Joseph Blinzler : Othonia und andere Stoffbezeichnungen im « Wäschekatalog » des Aegypters Theophanes und im Neuen Testament, dans Philologus, Band 99, 1-2, 1955, pp. 158-166.
F.M. Braun : La sépulture de Jésus (Gabalda, Paris, 1937 = 3 articles parus dans la Revue Biblique, vol. XLV, 1936, n° 1, pp.34-52 ; n°2, pp. 184-200 ; n°3, pp. 346-363).
Idem : Le Linceul de Turin et l’Evangile de S. Jean. Etude de critique et d’exégèse (Casterman, Tournai-Paris, sans date, probablement 1939-1040).
Edouard Delebecque : Le Tombeau Vide (Jean 20, 6-7) dans la Revue des Etudes Grecques, tome XC, nos 430-431, Juillet-Décembre 1977, pp. 239-248.
André Feuillet : L’identification et la disposition des linges funéraires de la sépulture de Jésus d’après les données du Quatrième Evangile, dans La Sindone e la Scienza. Bilanci e programmi. Atti del II Congresso Internazionale di Sindonologia, 1978 (Edizioni Paoline), pp. 239-263.
Giuseppe Ghiberti : Sepolcro, sepoltura e panni sepolcrali di Gesù. Riconsiderando i dati biblici relativi alla Sindone di Torino, dans la Rivista biblica, vol. XXVII, n° 1-2, gennaio-giugno 1979, pp. 123-158.
Alfred Jacob : article Othoné ( 0Oqo/nih ) dans le dictionnaire des Antiquités grecques et romaines de Daremberg et Saglio, tome IV, 1ère partie (Hachette, Paris, sans date), pp.263-264.
P. Ceslas Lavergne : La protohistoire d(u) Linceul du Seigneur, dans La Sindone e la Scienza. Bilanci e programmi. Atti del II Congresso Internazionale di Sindonologia, 1978 (Edizioni Paoline), pp. 227-237.
Antoine Legrand : Le Linceul de Turin, dans la collection : Sanctuaires, Pélerinages, Apparitions (Desclée De Brouwer, Paris, 1980).
J. Renié : Le saint Suaire de Turin devant l’histoire de l’exégèse, dans la Revue Apologétique vol. LXIV, n° 617, février 1937 pp. 149-159 + n°618, mars 1967, pp.304-324.
Ceslas Spicq : Notes de lexicographie néo-testamentaire, tome II, dans la collection Orbis Biblicus et Orientalis, 22/2 (Editions Universitaires, Fribourg, Suisse, 1978). Article o)qo&nh-o)qo&nion, pp. 601/605.
Alberto Vaccari : SINDWN - OQONIA - KEIRIAI in Snn. , dans Biblica, vol. 34, fasc. 2, 1953, p. 264.
Idem : (e. Joh. 19, 40). Lessicografia ed esegesi, dans Miscellanea Biblica B. Ubach, Montserrat, 1953, pp. 375-386.
Ian Wilson : The Shroud of Turin. The Burial Cloth of Jesus Christ ? (1978). Traduction française par Raymond Albeck : Le Suaire de Turin. Linceul du Christ ? (Albin Michel, Paris, 1978).
Bibliographie pour le n° 6 outre les ouvrages déjà cités ci-dessus :
R.E. Brown : The Gospel according to John (XIII-XXI). Introduction, Translation, and Notes (Anchor Bible, Doubleday, New York).
H. M. Féret : Mort et Résurrection du Christ d’après les Evangiles et d’après le Linceul de Turin (Buchet/Chastel, Paris, 1980).
Francisco Gnidovec : « Introivit… et vidit et credidit » (Jn 20, 8), dans Estudios Biblicos, volumen XLI, cuaderno 1-2, 1983, pp. 137-155.
John A.T. Robinson : The Shroud of Turin and the Grave-Clothes of the Gospels, dans les Proceedings of the 1977 United States Conference of Research on the Shroud of Turin (Holy Shroud Guild, 294 East 150 Street, Bronx, New York 10451) pp. 23-30.
Paul Vignon : Le Saint Suaire de Turin devant la science, l’archéologie, l’histoire, l’iconographie, la logique (Masson, Paris, 1938).
Edward A. Wuenschel : The Shroud of Turin and the Burial of Christ, dans The Catholic Biblical Quarterly, vol. VII, n° 4, October 1945, pp. 405-436 et vol. VIII, n° 2, April 1946, pp. 135-178 (réfutation de F.M. Braun).

[1Voir J.H.Moulton and W. F. Howard : A Grammar of New Testament Greek, (Clark, Edinburgh, 1920), pp. 344-346. Ainsi Luc 22,32 éprouve le besoin de préciser que le poi/mnion est « petit » et l’on ne voit pas de différence entre les 4 autres emplois de ce terme et les 5 emplois de poi/mnh : Matthieu 26,31 ; Luc 2,8 ; Jean 10, 16 ; 1 Cor 9, 7, (deux fois).



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