Association Jean Carmignac

AccueilFrançais Thèmes Historicité des Évangiles

La tragédie de Sénèque Hercules Oetaeus


novembre 2004 N° 24
Auteur :

Ilaria Ramelli

Qui a dit que nous n’avions pas – ou presque pas – de témoignage païen ancien sur les Evangiles ? Encore une idée reçue que les travaux scientifiques récents mettent à mal, comme le montre par exemple cet article du Professeur Ilaria Ramelli que nous vous proposons.

...et ses contacts possibles avec le début du Christianisme.

La tragédie latine intitulée Hercules Oetaeus (Hercule sur le Mont Eta) nous est parvenue dans le corpus des œuvres de Sénèque, même si, aujourd’hui, la plupart des critiques la considèrent comme probablement inauthentique et due à un émule de Sénèque, d’école philosophique manifestement stoïcienne. La datation se place, selon toute probabilité, entre les dernières années de la vie de Sénèque (à l’époque de la fin du règne de Néron, c’est-à-dire dans les années soixante du Ier siècle ap. J.-C.), et le début du IIème siècle.
Déjà il y a plus de cent ans, des chercheurs de langue allemande avaient remarqué que l’Hercules Oetaeus semble esquisser le personnage et le mythe d’Hercule sur l’Eta en s’appuyant sur les caractères attribués au héros dans la réflexion philosophique stoïco-cynique (celle-ci est indubitablement bien connue de l’auteur et même exagérément forcée), mais aussi en faisant des allusions à Jésus-Christ. Et ceci précisément dans les endroits où l’auteur de notre tragédie s’éloigne de ses modèles littéraires et mythologiques.
Je me contenterai de rappeler ici quelques éléments de la tragédie où la ressemblance éventuelle avec le contenu de l’Evangile saute aux yeux. Dans l’Oetaeus l’auteur insiste sur le lien entre Hercule et Jupiter, son divin « pater », contrairement à ce qui se passe dans Les Trachiniennes de Sophocle, qui constitue le modèle grec par excellence de cette tragédie latine : dans les longs monologues d’Hercule, les invocations adressées au « pater » sont fréquentes. Il s’agit d’une appellation qui, à l’inverse de ce qui se trouve dans l’Hercules Furens (Hercule Furieux) de Sénèque - autre modèle de notre tragédie - devient pratiquement la seule au cours de la pièce, de préférence à d’autres comme « genitor » ou « sator ». Le héros dès le début, sur les lieux de sa « passion », exprime sa crainte et sa douleur pour l’abandon présumé de son père céleste (vv. 1234 ; 1246-48), et est trahi intentionellement – ce qui n’est pas le cas dans Les Trachiniennes – par Déjanire, (vv. 1271, 1352-53, 1423, 1468), qui se suicide ensuite (v. 1458).
Un élément qui, d’ailleurs, a attiré depuis longtemps l’attention des critiques est la phrase « peractum est » (« est accompli »), répétée deux fois, à propos de la vie et du destin d’Hercule (vv. 1340 ; 1472). Mais d’autres éléments aussi sont frappants : les ténèbres et le tremblement de terre au moment de la mort du héros (vv. 1102-15, 1132-35, 1149-50), la présence de la mère sur les lieux de la « passion » du fils et la description de cette même « passion » comme glorieuse, avec la transfiguration du visage du héros (v. 1726). De plus, Hercule, désormais près de mourir,
prie ainsi son père céleste : “spiritum admitte hunc, praecor, in astra” (« accueille, je te prie, cet esprit dans les étoiles »), (vv. 1703-1704).
Contrairement à la tradition mythologique antérieure, dans l’Oetaeus il ne s’agit pas pour lui d’une mort apparente, fait démontré par la vaine recherche des os du héros, mais bien d’une mort réelle : le poète insiste beaucoup sur ce point ; la mère d’Hercule, Alcmène a vu en effet brûler son fils et tient dans ses bras les quelques cendres qui en restent, en considérant avec affliction comment la prestance physique imposante d’Hercule s’est réduite à bien peu de chose.

Des parallélismes étroits et bien visibles avec la scène de l’Evangile de saint Jean où Marie-Madeleine se trouve devant Jésus ressuscité, semblent se présenter ensuite dans l’Oetaeus aux vers 1940 et suivants. Alcmène, après la mort de son fils, entend la voix de celui-ci qui lui demande pourquoi elle pleure et qui lui révèle qu’il est vivant et qu’il a gagné le royaume du ciel, pour avoir vaincu la mort une seconde fois – la première fois il l’avait fait en « ressuscitant » Alceste, un épisode qui se trouve déjà dans la tradition antérieure du personnage d’Hercule et que les Chrétiens ont interprété en le considérant comme « praeparatio evangelica » (« préparation à l’Evangile ») : d’ailleurs, le personnage d’Hercule en général, et celui d’Hercule sur le Mont Eta en particulier, ont pu être envisagés dans cette optique [1] -. Eh bien Alcmène, sur ces paroles de son fils demeure tout d’abord incrédule (v. 1979 : « misera mens incredula est » « Mon pauvre esprit est incrédule »), et tente de retenir Hercule qui le lui interdit ; puis se met à croire, en passant de l’incrédulité à la foi grâce à l’apparition d’Hercule, vraiment mort et monté au ciel (vv. 1979-1981) : “misera mens incredula est / – es numen et te mundus aeternum tenet : / credo triumphis” « Mon pauvre esprit est incrédule/ - tu es un dieu maintenant, et le ciel te contient pour l’éternité / Je crois à ton triomphe. » De là naît la mission, dont se charge Alcmène, d’annoncer l’événement : “regna Thebarum petam, novumque templis additum numen canam” « J’atteindrai le royaume de Thèbes et je chanterai la nouvelle divinité qui s’est ajoutée aux temples » (vv. 1981-82). Ce qui présente certes des analogies avec les récits évangéliques, mais qui, de plus, rappelle la formule de l’acceptation d’un nouveau dieu au panthéon romain. [2]
Finalement, dans le chœur concluant la tragédie, Hercule est présenté dorénavant directement comme un dieu qui partage les pouvoirs de son père : “fortius ipso genitore tuo / fulmina mitte” « lance les éclairs avec plus de force que ton père” (v. 1996). Ceci se comprend d’une part à la lumière de l’insistance, presque exclusive dans la tragédie, sur le jumelage Hercule-Jupiter pater où le héros semble assumer les pouvoirs de son père, et s’insère par ailleurs dans le cadre d’une théologie qui tendait à concevoir Jupiter comme la divinité suprême de qui les autres dieux n’auraient été que des manifestations partielles. Dans le De Beneficiis de Sénèque aussi, IV 7-8, Jupiter est « Hercules » puisque « sa force invincible, s’étant épuisée dans ses œuvres, retournera au feu primordial » [3]. Le véritable Sénèque considère la mort d’Hercule sur l’Eta comme l’élément qui identifie Hercule lui-même avec son Père Jupiter.
L’auteur en effet, s’il n’est pas Sénèque, est un imitateur stoïcien qui pourrait aussi connaître les comptes-rendus évangéliques relatifs à la Passion, à la mort et à la Résurrection du Christ, et spécialement la tradition de saint Jean. C’est ce que semblent indiquer surtout l’expression « peractum est », la présence de la mère sur les lieux de la Passion du fils et la rencontre d’une femme après la résurrection. Il s’agit d’une série d’éléments qui, même s’ils ne peuvent pas, en sens absolu, être considérés comme probants, induisent cependant au moins à réfléchir sur la possibilité d’une modification du mythe d’Héraclès à la lumière des récits chrétiens : une intervention littéraire et culturelle qui, à mon avis, n’est pas impossible et qui ne devrait pas être exclue a priori.

[1Documentation dans mon ouvrage déjà cité La Chiesa di Roma. Hercule se prêtait sur de nombreux aspects à être rapproché de Jésus : en tant que conçu d’une femme par la divinité suprême, sauveur du monde qui vainc le mal et la mort, souffrant sur l’Eta et exalté auprès de son père céleste, puis chef du cosmos après son ascension au ciel et modèle de sagesse suprême.

[2Faire entrer Jésus-Christ au panthéon romain était dans les intentions de Tibère selon Tertullien (Apol. 5, 2) et de Sévère Alexandre selon la Historia Augusta (Vita Alex. 43, 6-7).

[3Nous lisons en effet dans IV 8, 1 : Herculem, quia vis eis invicta sit quandoque lassata fuerit operibus editis, in ignem recessura. Cfr. C. Torre, Cornuto, Seneca, i poeti e gli dèi, (Cornutus, Sénèque, les poètes et les dieux) in Gli Annei. Una famiglia nella storia e nella cultura di Roma imperiale, (Les Annæi. Une famille dans l’histoire et la culture de la Rome impériale) Atti del Convegno Internazionale, Milano-Pavia, 2-6 maggio 2000, (Actes du Congrès International, Milan-Pavie, 2-6 mai 2000) a c. di I. Gualandri - G. Mazzoli, Como 2003, pp. 167-84.



Merci pour les cotisations 2017 et merci à celles qui vont suivre… Nous en avons besoin.

Nous arrivons à maintenir la cotisation à la somme modique de 15 euros (7 euros en cas de nécessité) en vous rappelant que sans elle, ni le bulletin ni le site ne peuvent exister, ni, bien sûr, aucun développement de la diffusion ou du site. Envoyez votre chèque rédigé au nom de "Association Jean Carmignac", à l'adresse de notre siège social :

Association Jean Carmignac (chez Editions F.-X. de Guibert), 10.rue Mercœur, 75011 Paris.

(Notez bien cette adresse qui est à la fois notre adresse postale et celle de notre siège social.)
Voici les indications nécessaires pour les adhérents qui désirent utiliser nos IBAN et BIC pour leur cotisation ou leurs dons :
N° de compte : 44 655 98B – Domiciliation : La Banque Postale, Centre Financier : La Source.
IBAN (Identifiant international de compte) : FR73 2004 1010 1244 6559 8B03 396.
BIC (Identifiant international de la banque) : PSSTFRPPSCE.



Trois articles récents


L’historicité des Actes des Apôtres

Paul Bousset - Bulletin Nr.2


Je relèverai une série de petits détails qui m’ont plu parce que ce brave Luc avait un peu la même manie que moi autrefois quand je partais en vacances. On se moquait un peu parce que je gardais en souvenir des tickets de métro, des tickets de bus, des tickets de musée que je collais quelques fois dans les albums-souvenirs côte à côte avec les photos et les cartes postales. Luc, lui, a...
Évocation de l’abbé Carmignac par un de ses anciens élèves

Robert CUNY - Bulletins Nr. 0


Né le 7 août 1914, Jean Carmignac est entré au petit séminaire de Mattaincourt, dans les Vosges, en 1925, puis au grand séminaire de Saint-Dié en 1931. Cette démarche avait pris sa source dans une âme encore très jeune mais déjà décidée à consacrer sa vie à quelque chose d’utile et qui n’avait pas tardé à comprendre que "rien ne serait plus utile que de devenir prêtre et de travailler au salut...
L’auteur de l’Evangile de Saint Jean

Paul Partiot


D’après une tradition ancienne et généralement admise, le quatrième Evangile est l’œuvre de Jean le fils de Zébédée. Je l’ai moi-même partagée jusqu’au jour où la vérité a littéralement jailli à mes yeux en relisant une fois de plus Jean Ch. 21 versets 1 à 24. Je vais essayer de vous faire découvrir à votre tour ce qui me semble aujourd’hui une évidence. Regardons ce chapitre 21 comme une...
Powered by Cryptos Advanced System