Les Évangiles sont des documents historiques, presque des chroniques, de toute première main
Françoise Demanche - Bulletin N° 4
Les noces de Cana
Sur la lancée de Bultmann, certains exégètes ou soi-disant historiens de la vie de Jésus, ont voulu enlever aux noces de Cana son statut de miracle, le premier accompli publiquement par Jésus. On nous dit qu’il s’agit là d’une parabole destinée à illustrer cette vérité qu’une nouvelle alliance venait remplacer l’ancienne.
Or quel argument nous donne-t-on pour étayer cette interprétation ? En dehors du présupposé qu’un miracle ce n’est pas scientifiquement correct, on ne nous fournit comme preuve que ceci : le nom du marié n’est pas indiqué.
Est-ce suffisant pour jeter le doute ?
Bien d’autres personnages, héros de tel ou tel épisode de l’évangile, n’ont pas eu leur nom conservé.
Les évangélistes ne nous citent pas le nom du lépreux guéri à Capharnaüm, ni du paralytique pardonné, puis guéri, ni du démoniaque du pays des Guéraséniens, ni de la Syro-phénicienne venue demander la guérison de sa fille, ni du centurion à la foi si vive. Cela ne prouve pas qu’il s’agisse là de contes édifiants.
Plusieurs détails du récit suggèrent au contraire que la scène n’a pas dû être inventée : d’abord l’intervention de Marie, quand elle s’avise du manque de vin. Elle faisait partie des invités, le souci du ravitaillement de la noce n’entrait donc pas dans son rôle. Quant à son cours dialogue avec son fils, il est si énigmatique qu’un conteur de paraboles ne s’y serait sans doute pas aventuré, ou bien en aurait fourni l’explication. L’autre élément pris sur le vif est l’étonnement de l’ordonnateur du festin, en reconnaissant la qualité supérieure du vin. Quand les serviteurs eurent expliqué le phénomène et quand les invités eurent goûté ce nectar, on peut facilement imaginer l’enthousiasme délirant de toute la noce. Aussi Jean conclut avec une certaine solennité : « Tel fut le premier des signes de Jésus, il l’accomplit à Cana en Galilée, et il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en Lui. » Le signe miraculeux a produit son effet, susciter la foi des premiers disciples et faire connaître la puissance du nouveau prophète.
Jean, tout le premier, a dû être frappé par l’évènement, car il y revient au chapitre IV, 46, avant de relater la guérison du fils du fonctionnaire royal : « Il retourna alors à Cana en Galilée, où il avait changé l’eau en vin. »
L’archéologie vient récemment d’apporter une confirmation de l’historicité du passage. Les fouilles opérées à Jérusalem de 1969 à 1978, après les destructions dues à la guerre, dans l’ancien quartier haut, proche du temple, ancien quartier des grands prêtres, ont permis de retrouver dans les palais écroulés et notamment dans la « maison brûlée », une quantité d’objets taillés dans la pierre. Une fois les morceaux soigneusement assemblés et recollés, on a pu reconstituer des tables, les unes rondes, les autres rectangulaires, des pilons et mortiers, des cadrans solaires, des couvercles, des plateaux, des gobelets. La trouvaille la plus surprenante fut celle de quelques urnes en pierre de grande capacité, monolithiques. Certaines d’entre elles sont montées sur un pied, comme des coupes. Il faut deux hommes pour les soulever quand elles sont vides. Ces objets ont été sculptés dans le calcaire tendre de la région. Les pièces de monnaie retrouvées parmi les décombres de la « maison brûlée » sont antérieures à 69, ce qui permet de conclure que ce bâtiment a été détruit au moment du siège de Jérusalem et que le mobilier trouvé est antérieur à cette date.
Dans d’autres quartiers de la ville et dans d’autres sites comme Massada, Qumrân, Herodium, Jéricho, Gamla et Jotapata en Galilée, des récipients en terre ont aussi été découverts, mais en moindre quantité. Ce type de récipient est surtout abondant au 1er siècle avant et au 1er siècle après l’ère chrétienne.
Le texte de Jean II, 6 : « Il y avait là six urnes de pierre, destinées aux purifications des Juifs, contenant chacune deux ou trois mesures (métrètes = 40 lites) », apporte la solution à la question qui se pose. A quoi servaient ces urnes ? Un passage de la Mishnah (Oholot 5) relatif aux règles de pureté et impureté rituelles, confirme celui de Jean : Les objets en poterie, en bois, en métal, en matière textile, etc... peuvent devenir impurs, s’ils sont en contact avec une personne ou un autre élément impur, alors que les objets en pierre échappent à toute impureté.
Utiliser des objets en pierre permet donc d’éviter le risque et c’est ce qui a dû faire leur succès, malgré le prix élevé que devaient atteindre ces objets, notamment dans les familles sacerdotales, à qui le service du Temple imposait des règles de pureté rituelles extrêmement strictes.
Dans son livre Jérusalem ressuscitée, paru aux Editions François-Xavier de Guibert en 1992, Madame Genot-Bismuth présente (p. 117 et suivantes) les photographies des objets de pierre découverts dans la maison brûlée et les palais sacerdotaux qui l’entourent et elle souligne le rapprochement entre les jarres de Cana du texte de Jean et les jarres effectivement découvertes à Jérusalem.
Ci-dessus salle d’une des demeures du haut sacerdoce, d’époque hérodienne, dégagées par les fouilles archéologiques à Jérusalem dans la deuxième moitié du XXè siècle. Avec sa mosaïque au sol, ses tables en pierre, ses grandes jarres taillées également dans la pierre, ce mobilier est caractéristique des demeures sacerdotales hérodiennes. Mobilier et vaisselle de pierre – incontaminables – convenaient parfaitement à la vie sacerdotale qu’ils contribuaient à simplifier.
Françoise Demanche - Bulletin N° 4
Jacqueline C. Olivier